Belfast, 1996, des bombes éclatent encore. Des haines séculaires se tirent encore dessus. Nourris de l’absurde folie d’une violence sans nom, le roman de McLiam Wilson se veut le miroir qui révèle tout ce qui tombe sous sa loupe. Un miroir un peu sale, mais un miroir sans compromis. Pas moyen de se cacher. On ne ment pas dans Eureka Street. La fiction n’a pas de maquillage…

Deux habitants des quartiers populaires, Jake et Chucky, dont on suit le parcours : l’un est catholique, l’autre protestant, et ils se foutent complètement du Pape comme de Luther. Jake ne veut que boire sa bière en paix et vivre ses peines d’amour sans qu’on l’emmerde. Chucky tente par tous les moyens possibles de gagner des sommes considérables en fournissant le moins d’efforts possibles. Et vous dire qu’il a l’imagination débordante serait un euphémisme.

Bien sûr, en marge, en filigrane, partout, il y a Belfast avec toutes ses contradictions, ses contrastes, sa cruauté et sa beauté. La ville se dresse au cœur du roman parce que l’auteur en est amoureux : « Toutes les histoires sont des histoires d’amour. » Oui, c’est bien d’amour dont il s’agit, et ici, il vous arrache parfois les bras.

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Vingt après la sortie de cet ouvrage magistral, foisonnant, hilarant (on rit beaucoup dans Eureka Street), celui-ci reste d’une actualité douloureuse.

Le terrorisme demeure le même partout où il explose. Il ne fleurit jamais. Il grandit sur la haine et s’installe dans nos quotidiens comme un embouteillage de plus, une normalité nouvelle à laquelle on s’habitue sans peine et qui modifie irrémédiablement le cours de nos vies.

Le constat que l’auteur en fait n’est pas des plus optimiste, mais il est juste et il le fait dans une langue splendide, une des plus belles que je connaisse. Comme si cette langue amplifiait tout ce qui est beau, tout ce qui est monstrueux.

Je ne voudrais pas passer sous silence le superbe travail de traduction de Brice Matthieussent pour nous, lecteurs francophones. Ce livre n’est pas uniquement tous les superlatifs que je pourrais lui accoler, il est simplement et irrémédiablement indispensable.

Patrick Bilodeau, libraire à la Librairie Pantoute

Eureka Street de Robert McLiam Wilson