La Ville de Chandler se fait rabrouer

Un conseil municipal à Chandler.

Crédit photo : Ariane Aubert Bonn

OPINION – Un texte signé par Sylvain Déry, Québec. L’auteur est avocat diplômé à l’Université Laval, membre de l’Ordre des administrateurs agréés du Québec, double diplômé en droit de l’Université de Montpellier et siège notamment sur le Comité consultatif du Barreau du Québec en droit municipal.

Le 26 juin dernier, dans une importante décision interlocutoire de la Juge administrative Myriam Bédard, la Ville de Chandler se faisait rabrouer au sujet de son interprétation décalée de l’exigence énoncée à l’article 71 de la Loi sur les cités et villes (LCV) d’occuper un poste depuis au moins 6 mois pour bénéficier d’une certaine sécurité d’emploi.

Rappelons en effet que l’article 71 LCV énonce qu’un vote à la majorité absolue des voix des membres du Conseil municipal est requis pour que ce dernier puisse destituer, suspendre sans traitement ou réduire le traitement d’un fonctionnaire qui, depuis au moins six mois, occupe son poste. Le législateur québécois a voulu protéger les fonctionnaires municipaux afin d’assurer une certaine stabilité administrative.

En l’espèce, le litige découle du fait que la résolution d’embauche du fonctionnaire date du 11 septembre 2017 alors que le travail effectif débute le 16 octobre 2017. Aucun contrat de travail écrit n’avait alors été signé.

Tristement pour le fonctionnaire, son embauche se déroule en période électorale, terreau fertile pour les candidats souhaitant changer le monde sur le dos des fonctionnaires municipaux. Comme de fait, aux élections de novembre 2017, quatre nouveaux conseillers sont élus.

Possiblement jaloux, ou irrités par le salaire du fonctionnaire (salaire pourtant autorisé avant l’élection par le conseil municipal), les quatre nouveaux élus en exigent une baisse substantielle de 25% ou la fin de l’emploi. Rien de moins! La mairesse oppose alors son droit de veto. Bravo!

Toutefois, portés par la sagesse partisane et l’incompréhension de leur rôle, les quatre nouveaux élus, en séance extraordinaire le 12 avril 2018, votent majoritairement la réduction de salaire ou la fin d’emploi… au choix du fonctionnaire! Puis, comble de l’absurde, voulant soustraire le fonctionnaire à la protection de l’article 71 LCV et croyant agir à l’intérieur du délai de 6 mois post embauche, il est tout simplement congédié le 15 avril… sans résolution du conseil municipal et alors même qu’il est en vacances autorisées. Incroyable!

Évidemment, les tribunaux ne sont pas insensibles aux bizarreries municipales. Ainsi, la juge administrative Myriam Bédard, reprenant une décision de la Cour supérieure ( Côté c. Tribunal administratif du travail, 2016 QCCS 6856) confirme que la date de la résolution l’emporte sur le début de la prestation de travail. Heureusement, la partisannerie politique, ne résiste pas à l’intelligence judiciaire.

Ainsi, qu’on se le dise:

– Les campagnes électorales ne sont pas l’occasion de s’attaquer aux conditions de travail dûment adoptées (et légitimes);

– Les nouveaux élus doivent être formés (et informés) avant de « s’attaquer » aux conditions de travail des fonctionnaires municipaux;

– Les fonctionnaires municipaux doivent TOUJOURS être accompagnés d’avocats spécialisés dans les litiges les opposant aux élus municipaux.

– En somme, cette décision nous enseigne (une fois de plus) l’importance pour les élus municipaux de résister à la partisannerie au détriment du droit.