Le CALACS et la lutte contre la violence sexuelle

Jolyane Annett, technicienne en travail social au CALACS La Bôme-Gaspésie, le Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel.

Crédit photo : Photo Jean-Philippe Thibault

(Par Jean-Philippe Thibault) L’affaire Harvey Weinstein – influent producteur de cinéma américain déchu en raison de multiples accusations de harcèlement sexuel – a secoué les colonnes du temple à Hollywood et a engendré une secousse d’envergure un peu partout sur la planète.

Pas plus tard que la semaine dernière, on apprenait également les inconduites sexuelles reprochées à Éric Salvail et Gilbert Rozon pendant que sur les réseaux sociaux, les mots-clic #MeToo, #BalanceTonPorc et #MyHarveyWeinstein étaient de plus en plus visibles. La démarche a été lancée afin que chaque personne victime d’harcèlement ou d’agression sexuelle puisse démontrer l’amplitude du problème.

Le phénomène est évidemment bien réel. On estime qu’une femme sur trois ainsi qu’un homme sur six en seront victime au cours de leur vie. En 2014, ce sont 77 infractions sexuelles qui ont été commises en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine. Sauf que seulement 10% des agressions sont rapportées, ce qui en fait un problème omniprésent. Nous en avons discuté avec Jolyane Annett, technicienne en travail social au CALACS La Bôme-Gaspésie, le Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel.

Avec les dossiers en la matière, comme ceux d’Éric Salvail et Gilbert Rozon, comment voyez-vous ce phénomène des mots-clic sur les réseaux sociaux?

Il y a deux côtés à la médaille. D’une part ça fait prendre conscience à la population l’ampleur du problème et qu’effectivement c’est préoccupant et qu’il faut s’en occuper sérieusement. En date de lundi dernier [16 octobre] il y avait 53 000 personnes qui avaient fait le hashtag #MeToo, et ça continue. D’autre autre part, on est ambivalent parce que c’est peut-être pas le meilleur endroit pour le faire, dans le sens où ç’a n’a pas d’impact direct sur les agresseurs. En parler et mettre la lumière là-dessus c’est évidemment souhaité. Mais c’est en portant plainte aux autorités qu’il va y avoir des conséquences auprès des agresseurs. Il faut dire aussi que ça peut malheureusement jouer contre les victimes qui sont en processus judiciaire. S’ils font le hashtag #MeToo, le juge peut les déclarer non crédibles suite à des actions comme ça sur des réseaux sociaux. Si l’agresseur est nommé en plus, il pourrait porter plainte pour atteinte à la réputation alors il faut faire attention.

Ceci dit, des dossiers médiatisés comme ceux-ci, ça doit avoir des répercussions directes pour vous?

On remarque depuis quelques années qu’avec les allégations médiatisées – comme le cas d’Alice Paquet auprès d’un député ou l’affaire Ghomeshi – il y a ensuite une vague. On ressent certains impacts dans les mois qui suivent et on reçoit plus de demandes d’aide au niveau des agressions sexuelles.

Quelle est l’ampleur réelle du problème? Quelles sont les statistiques?

Au Québec, 1 femme sur 3 et 1 homme sur 6 est ou sera victime d’agression sexuelle. Ça parle beaucoup, c’est énorme! Ici en Gaspésie, ce sont 93% des victimes qui connaissent leur agresseur, que ce soit un ami, un collègue de travail ou quelqu’un de la parenté. On a souvent le préjugé d’un inconnu dans une ruelle sombre mais c’est rarement ça. Ce sont souvent des gens qu’on côtoie quotidiennement et qu’on connait, mais qui vont finir par abuser de cette confiance.

C’est donc environ 33% des femmes et 17% des hommes qui en sont victime, mais combien dénoncent leur agresseur?

Seulement 10% vont porter plainte aux autorités policières. C’est minime. La Gaspésie se situe d’ailleurs au 3e rang au Québec comme région où il y a le plus d’infractions sexuelles …

J’imagine que c’est encore plus difficile de porter plainte contre quelqu’un de la famille et de l’entourage proche, dans un petit milieu de surcroît?

Effectivement, il y a tout l’aspect de division et de ne pas briser la famille, certains prenant le parti de l’un ou de l’autre. Dans la société, comme ça fonctionne, c’est un des seuls crimes où on culpabilise la victime. Si on parlait de vol ou de meurtre ce matin, on ne mettrait pas les victimes en question, mais quand il s’agit d’agression sexuelle, on remet toujours leur crédibilité en question, ce qui le rend le crime encore plus difficile à dénoncer.

Pour ceux qui se demanderaient, au travail, elle est où la ligne à ne pas dépasser?

Il y a une différence entre le flirte et le harcèlement. Le flirte, c’est deux personnes consentantes qui se respectent là-dedans et à l’aise dans ce jeu de séduction. Quand une des deux personnes a un malaise et n’est pas bien avec ça, qu’elle vient travailler avec un stress sachant qu’elle va possiblement subir quelque chose, là on parle de harcèlement sexuel en milieu de travail. Ce sont souvent des gestes répétitifs. On suggère d’ailleurs de garder un journal de bord et d’écrire tous les jours les détails des gestes posés avec la date et l’heure. Ensuite c’est plus facile de faire une plainte au criminel et de monter un dossier contre l’agresseur.

Sinon, il y a des ressources qui existent, comme vous.

On est très conscient que ce n’est pas facile de porter plainte aux autorités policières, que c’est un processus long et pénible, mais on conseille d’aller chercher l’aide dans un CALACS. Nous avons ici des gens formés pour accompagner les victimes et se préparer pour le processus judiciaire, si procès il y a. Les victimes ne sont pas toutes seules dans ce processus et on est là pour le rendre plus facile. On a des points de service à Gaspé, Sainte-Anne-des-Monts, Chandler et Carleton. On peut nous rejoindre au 1 866 968-6686.